Dans nos reprises d’anciennes Notes sur l’évolution culinaire dans la capitale malgache, les auteurs des articles de ce chapitre, dans le Spécial Tananarive de la Revue de Madagascar (1952), parlent de l’apparition d’une « cuisine spécifique ». Celle-ci est sous l’influence du « goût créole », écrivent-ils, lui-même dépendant du goût indien. Condiments et épices à saveur orientale se sont, en effet, incorporés aux ressources locales pour assaisonner les préparations et relever la fadeur du riz.
Ils citent alors les condiments et épices les plus utilisés. À commencer par le carry, mais aussi sa version naturelle « tamotamo » (curcuma ou safran). Le carry jouit du droit de cité « sans réserve », avec un accent peut-être exagéré de haute teneur en produits gras, parce que « le Malgache préfère les mets riches en graisse ».
Le chutney indien se prépare également à Tana avec des mangues vertes ou mûres, cuites en marmelade et agrémentées de sel, de gingembre et de piment. De même origine sont les sambos, très appréciés de ceux qui y résident depuis longtemps, les nouveaux venus leur trouvant un goût quelque peu brûlant. C’est une farce de viande relevée d’herbes aromatiques, cresson ou brèdes, oignon vert, carry, poivre, piment, tomate et gingembre, enrobée dans une fine pâte à crêpes de farine de riz que l’on fait frire et dorer. Leur forme est généralement triangulaire, poursuivent les auteurs de ces articles.
« Des colporteurs munis de boites en fer-blanc, en proposent aux terrasses des cafés. » Ce sont surtout des Comoriens qui le font.
Le chatigny mauricien, visible sur les tables des restaurants tananariviens, ne semble pas dériver du chutney indien. Pourtant, la sauce rouge ou verte est faite de tomates ou de mangues crues hachées avec des oignons, du sel, du poivre, beaucoup de piments frais mais brûlants, du citron et du gingembre éventuellement. « C’est l’accompagnement indispensable ici des plats au carry. »
Spécifiquement bourbonnais sont les achards, faits de légumes divers émincés, frits à l’huile d’olive et relevés de piment, carry, safran et gingembre, auxquels on ajoute un jus de citron.
« Les achards de chou-palmiste sont les plus appréciés. »
De la même veine est la rougaille qui est une sauce-condiment que l’on prépare soit avec des légumes, soit avec de la saucisse émincée, soit avec des gratons (expression locale pour gratins qui désigne les résidus de la fusion du lard), soit avec tout autre aliment. Pilée ou hachée menue, la matière est sautée avec de la tomate, des piments, des oignons et tous les condiments les plus épicés.
Parfois, on se contente d’un ambrecale bourbonnais. C’est un plat de riz avec sauce au safran et carry préparée au lard. On y ajoute des pois de Cap et d’autres légumes, « le tout relevé bien entendu ».
Mais tous les Malgaches d’Antananarivo ne mangent pas ainsi, en général, sauf peut-être dans les grandes occasions. « Nombreux sont ceux qui demeurent fidèles à leur cuisine traditionnelle. » D’autant qu’aux diverses classes sociales correspondent des façons de cuisiner et de manger ainsi que des aliments spécifiques.
Ainsi, les gens de condition modeste sont volontiers sobres dans leur alimentation. « D’une sobriété presque ascétique tant par goût que par nécessité : une poignée du riz quotidien suffit à ces sages qui ne consacrent à leur nourriture qu’une infime dépense. » Ils font leur habitude, et en alternance avec le riz, des mets simples à base de tubercules locaux bouillis, qui portent le nom générique de « hanikotrana ». Ce sont, entre autres, le « bononoka » carotte de manioc rouie dans l’eau une dizaine de jours, puis cuite à l’eau; « vomanga » ou patates douces mangées bouillies ou grillées ; « mangahazo teti-pohy » ou manioc émincé et bien cuit ; tubercules de « saonjo madinika » ou arum (igname ou taro ?) cuits à l’eau avec leur écorce ; « saonjo ramandady » tubercules striés de bleu que l’on fait cuire sans écorce ; parfois, les « ovy » ou pommes de terre sont aussi bouillis avec leur enveloppe. « Mais ils renoncent à ces mets élémentaires pour honorer les jours de fête de leur mieux et sans lésiner. »
Menu avec ou sans condiments et épices
Les bonnes (vieilles) recettes de grand-mère
Si toute l’année, les Tananariviens de condition modeste, donc la majorité, sont, en général, sobres dans leur alimentation, ils ne ratent pas de faire des folies pour célébrer les jours de fête. Sous la colonisation, l’ancienne Fête du Bain royal est transposé au 14 juillet. Pour terminer notre reprise de certaines Notes sur l’art culinaire tananarivien, à partir d’articles parus dans le Spécial Tananarive de la Revue de Madagascar (1952), nous donnons ce qu’ils appellent alors « le menu de fête de type ancien des traditionnalistes ».
La Fête se déroule pendant deux jours. Dès la veille, les familles aisées organisent un repas familial intime, autour du riz évidemment. Pour l’accompagner, ils servent l’« akoho mifahy », poule gavée deux ou trois mois à l’avance, devenue bien grasse, découpée en morceaux que l’on fait cuire à l’étouffée avec du gingembre ou de l’ail ; du « vorombe mifahy », oie engraissée puis rôtie, sans autre mélange, jusqu’à l’extraction de la graisse ; du « vorombazaha », canard cuit à l’étouffée. Et enfin et surtout le plat typique « varanga » qui est de la viande de bœuf débitée par gros morceaux, mis à la marmite longtemps à l’avance, et cuits jusqu’à ce que les fibres se détachent d’elles-mêmes, comme du raphia.
« Cette préparation se conserve plusieurs mois. »
Le 14 juillet, ceux qui en ont les moyens, font tuer des animaux domestiques. « Autrefois, ils étalaient sur leurs tables, de nombreux plats pour un festin offert à leur clientèle d’amis peu fortunés et de parents venus de la campagne. » Ce sont :
• les « taovan-kena isan-karazany » : réservés aux premiers invités, ces abats et tripes de bœuf sont sautés et rissolés avec d’autres morceaux de viande;
• le « henan-kisoa » ou viande de porc est préparé aux arachides ;
• les poissons « marakely » sont de petites perches locales ;
• le « ravim-boatavo sy hen’omby » est un bouillon préparé avec des crevettes rouges et du poisson sec, assaisonnée de tomates, de feuilles de courges et de viande de bœuf;
• le « sesika » est constitué d’une farce de viandes de bœuf et de porc assaisonnée d’ail et d’épices, pilée en pâte et enrobée de feuilles de courges ou de bananiers qu’on fait cuire dans la graisse. On la fait aussi avec des chairs de volaille;
• les « hofak’ondry » sont des queues grasses de mouton sautées à la marmite ;
• le « vavan’omby » désigne un plat de museau et de joue de bœuf cuit un jour entier ;
• le « tongo-kisoa » donne des pieds de porcs cuits à l’étouffée ;
• les « karatoa » sont des gratins ou lardons dont la graisse accompagne des choux avec des tomates qui servent de condiments ;
• l’« amalona », les anguilles coupées en tranches sont disposées sur une claie de roseau au fond de la marmite et aromatisées aux fines herbes ;
• les « toho », petits poissons, sont cuits mélangés à de la viande de porc. D’autres poissons sont sautés avec des feuilles de cresson ;
• les « lelan’omby » sont des langues de bœuf, mijotées avec des oignons, des petits pois et des tomates ;
• le « ravin-toto sy henan-kisoa », plat (presque) national, est fait de feuilles de manioc pilées et cuites avec de la viande de porc ;
• le « tsaramaso lena sy ravimbomanga » est l’accommodement des feuilles de patates douces et de tomates avec du poisson sec ;
• le « anamamy sy hen’omby » est un bouillon de brèdes morelles avec du bœuf ;
• le « anan-tsonga sy anamalaho » est une même préparation, mais à base de brèdes à feuilles rudes et à goût piquant pour relever la viande de bœuf ;
• le « tongolo-maitso sy henan-kisoa » est un mélange de rôti de porc avec des feuilles d’oignons ;
• les « kitoza » sont des lanières de viande boucanée au soleil ;
• le « anamamy sy angivy » désigne un bouillon de brèdes morelles et de fruits amers de certains épineux, destiné à faciliter la digestion ;
• le « vary amin’anana » est un plat de riz et de viande avec un grand assortiment de brèdes émincées additionnés de crevettes rouges et de haricots.
Le lac Anosy en quelques phrases
Lorsque Radama Ier monte sur le trône en 1828, il initie son peuple à la civilisation moderne. Et s’il accueille bien les Européens, il ne le fait pas sans intérêt. Il attend d’eux des enseignements profitables, des armes pour vaincre, ainsi que tous les moyens propres à asseoir sa domination et à l’étendre jusqu’à la mer, conformément à la politique définie par son grand monarque de père, Andrianampoinimerina. Il fait alors appel à des initiateurs européens, en dosant avec habileté les influences anglaises et françaises qui agissent autour de lui pour la prépondérance, et il joue avec finesse de leurs querelles et de leurs rivalités.

Sous la colonisation, un petit port est créé
pour permettre une promenade dominicale sur le lac.
C’est ainsi que débarquent à Antananarivo des missionnaires protestants pour ouvrir des écoles, fixer la langue malgache, mais aussi des entrepreneurs en construction, des charpentiers, menuisiers, ferronniers, tanneurs-cordonniers, tandis que des ateliers de fabrication de poudre s’ouvrent…
À ce propos, Radama Ier crée au nord-ouest de Mahamasina, le lac artificiel d’Anosy au milieu duquel se trouve un îlot où il fait construire une poudrière, pour éviter un éventuel incendie accidentel en pleine ville où les maisons sont en bois. Une partie de la poudre est fabriquée par un atelier installé sur la corniche d’Isoraka.

Le Monument aux morts, dominé par « l’Anjely mainty », comme l’appellent les Tananariviens.
Son épouse et successeure, Ranavalona Ire, fait raser la poudrière pour y créer une « résidence de villégiature ». Enfin, sous la colonisation un port est bâti sur l’une des rives du lac, du côté est.
Texte : Pela Ravalitera - Photos : Archives personnelles – Agence nationale Taratra
École verte dans les rues de Tana
Un beau matin, Rakoto qui veut planter des arbres sur un terrain qu’il vient d’acquérir dans la proche banlieue d’Antananarivo, vient trouver Elie Jouve pour lui demander les espèces que l’on peut rencontrer dans la ville afin de fixer son choix.
« Car, en fait d’arbres, Rakoto ne reconnait que les kininina » (Revue de Madagascar, Spécial de 1952).
• Elie Jouve : Mon cher Rakoto, vouloir planter des arbres est une excellente idée. C’est un bon placement pour tes économies en même temps qu’une œuvre méritoire dans ce pays qui a trop longtemps été dénudé.
• Rakoto : Adrey ! Vazaha ! Peut-être gagnerais-je une médaille ?
• E.J. : Peut-être Rakoto ! Dans ce cas j’en serais satisfait pour toi. Alors allons voir les arbres. Vois-tu, sur l’avenue de la Libération (actuelle
avenue de l’Indépendance), ces grands « kininina » comme tu les appelles ?
Ce sont des Eucalyptus robusta que nous avons plantés il y a quarante ans (années 1910). Ils dépérissent et sont peu gracieux. On a essayé de les remplacer par des Pins patula ou argentés d’origine mexicaine. Leur feuillage menu et retombant serait décoratif. Malheureusement, des vandales les ont abimés et les émanations des autos ou de l’asphalte leur font grand mal. Il nous faudra chercher d’autres espèces.
• R. : Et ce grand palmier devant l’Hôtel de Ville avec ses « zanaka » autour de lui ?
• E.J. : Le gros palmier est un Cocos flexuosa très gracieux avec ses longues palmes, mais à condition qu’on lui fasse de temps à autre un brin de toilette, qu’on élague les palmes mortes qui pendent sous son panache… Quant aux petits palmiers, ce ne sont pas ses enfants, contrairement à ce que tu croyais, Rakoto, mais d’autres palmiers d’une espèce différentes appelée Neodypsis ou farihazo
en malgache, très abondante dans la forêt de l’Est. Les jeunes palmiers que la ville a fait planter à Antsahavola sont également des Cocos flexuosa. Tiens passons par l’avenue de La Réunion pour admirer les magnifiques peupliers suisses ou peupliers de Caroline de la Place de Soarano devant la Gare… et, devant l’Institut d’hygiène social, les grands Grevillea. Et maintenant allons à la Place Colbert (Place de l’Indépendance à Antaninarenina)… Tu vois ces gros arbres en boule, pas très hauts, branchus, à la frondaison touffue, au feuillage vert sombre ? Ce sont des chênes de France, les fameux chênes de la Place, populaires parce qu’ils abritent sous leur ramure, les bancs où les oisifs discutent, mieux qu’à l’Assemblée représentative, les affaires du pays… À côté des chênes, ces grands arbres dépourvus de feuilles en hiver, mais surchargés de belles fleurs mauves en été, sont des Jacaranda. Splendides à l’époque de la floraison, ils font l’enchantement de Tana… et bientôt apparaitra leur feuillage aux nombreuses et fines folioles d’un joli vert tendre. À côté des chênes et des Jacaranda, voici les micocouliers, arbres méditerranéens, ici un peu rabougris, mais nous en verrons de plus beaux ailleurs. Sur la pente qui descend de la Place, ces grands arbres à fleurs jaune foncé sous lesquels tombent des gouttes d’eau, surtout quand le soleil chauffe, sont des Grevillea comme ceux que nous avons déjà vus à l’IHS. Beaucoup de personnes se demandent pourquoi il pleut ainsi sous eux… Eh ! bien, ces gouttes que tu pourrais prendre pour de la pluie, proviennent de la sève de ces pauvres arbres littéralement envahis par des sortes de cigales (jorery) qui piquent leur écorce et la font ainsi s’écouler. Parfois l’arbre dépérit et meurt. Ces mêmes insectes piquent également les Jacaranda et les pêchers.
• R. : Les deux beaux arbres ronds près des bassins qui se trouvent en face de la Résidence du gouverneur général (Palais d’Ambohitsorohitra) et que nous, Malgaches, appelons « ravintsara », quel est leur nom en français ?
• E.J. : Ce sont des camphriers, Laurus Camphrea, dont tu verras beaucoup de spécimens en ville. Leur port admirable, leur bel ombrage, la qualité de leur bois parfumé et veiné de brun clair méritent qu’on les propage dans ce pays.
• R. : Marina Vazaha ! J’aime beaucoup les « ravintsara ».
Recueilli par Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
Leçon de botanique dans les rues de la capitale
Après être passés à Analakely puis montés à Antaninarenina, Elie Jouve, qui se transforme en guide, et Rakoto, qui s’intéresse aux diverses espèces d’arbres visibles dans la capitale, descendent Ambohitsorohitra vers Ambohidahy pour rejoindre Mahamasina (lire précédente Note).
• Rakoto : Sur le talus de l’escalier qui descend vers Ambohidahy, ces grands arbres à feuilles découpées, rouges à la fin de la saison sèche, qu’est-ce que c’est ?
• Elie Jouve : Ce sont des Liquidambar, remarquables par leur port majestueux et la beauté de leur feuillage rougissant à l’automne. Viens maintenant, descendons à Mahamasina. Vois-tu le lac Anosy, entouré de sa ceinture mauve de jacaranda ? Au milieu de l’ile, entourant le Monument aux Morts, regarde la couronne sombre des thuyas du Canada ou Thuya occidentalis, dont le port, en forme de globe, s’harmonise si bien avec ce cadre imposant. Isolés sur une pelouse, ces thuyas constituent un bel ornement. Sur la digue qui donne accès au Monument aux Morts, les touffes d’arbustes que tu remarques, sont constituées par des Érables negundo ou érables à feuilles de frêne, des Althea et Bauhinier aux jolies fleurs blanches ou roses, des Tephrosia aux fleurs jaunes…
• R. : N’y a-t-il pas d’eucalyptus ici ?
• E.J. : Si. Entrons à l’intérieur de la Place Richelieu et admirons les magnifiques eucalyptus d’espèces diverses qui la peuplent. Voisinant avec eux, des « rotra » dont les Malgaches recherchent, pour les manger, les fruits noirâtres à saveur acidulée et qui ressemblent à des olives. Tu trouveras les plus beaux spécimens sur la Route circulaire, à Ambodirotra. Et voici, ici même, toutes sortes d’essences : de grands filaos, des Grevillea, des Liquidambar, des Jacaranda, des chênes encore, enfin des lilas de Perse que vous, Malgaches, nommez « voandelaka », mais dont le nom scientifique est Melia Azedarach. C’est un bon arbre pour le reboisement ici, car il résiste bien à la sécheresse en perdant précocement son feuillage. Quant à son bois d’une teinte jaune clair, il est utilisable en menuiserie et même en ébénisterie. Et puis, voici des pins de Jeffrey et même, assez rares à Tana, des platanes, le climat leur étant plutôt défavorable.
• R. : Mahamasina et ses environs sont aussi très arborés.
• E.J. : Oui. Autour du stade de Mahamasina, les peupliers de Caroline ou peupliers suisses, les mêmes que ceux déjà vus Place de la Gare de Soarano, attirent l’attention par leur taille imposante et leur belle ramure. Leurs feuilles, malheureusement, tombent trop vite et nous laissent six mois sans ombrage.
• R. : Et si nous allons Place d’Ambohijatovo, Vazaha ?
• E.J. : C’est vrai, nous y retrouverons la plupart des espèces déjà citées, mais qui y sont prospères : eucalyptus variés, jacaranda, liquidambar, grevillea, filaos, camphriers et chênes. De nouveaux spécimens s’offrent, cependant à la vue : des cyprès de Lawson Pendulata aux rameaux pendants, un cyprès chauve à feuilles caduques, des cyprès de Lambert aussi qui peuvent atteindre de grandes dimensions. À côté d’eux, des pins de Jeffrey ; des Lagerstroemia appelés ici goyaviers-fleurs, charmants arbustes dont les inflorescences disposées en panicules à l’extrémité des nouvelles pousses, sont d’un beau coloris rose ; des Catalpa, espèce américaine très ornementale par son large feuillage e ses grappes de fleurs aux couleurs tendres, blanche, crème ou mauve ; des peupliers d’Italie fusiformes, espèce rare à Madagascar ; des niaoulis à l’écorce ignifuge, originaires de la Nouvelle-Calédonie ; des palmiers Vonitra qui donnent en forêt du crin végétal.
• R. : Et cet arbre aux rameaux épineux mais très branchu, garni en ce moment de grosses et belles fleurs rouges, comment l’appelle-t-on ?
• E.J: Tu devrais le connaitre, Rakoto, il a un nom facile à retenir pour un Malgache, « Hazom-boay » ou arbre du caïman, car il abonde dans l’Ouest, sur les berges des fleuves. Et les caïmans s’étalent sous lui pour la sieste. Les botanistes l’appellent Erythrina Crus Galli. À côté, le bel arbre, épineux également, à frondaison très développée, au feuillage léger et qui porte de grosses gousses dont les graines, comme des petites fèves, sont bonnes à manger, est un févier: Gleditschia tricanthes.
Recueillis par Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
« Beaucoup d’arbres n’aiment pas la civilisation »
Pour terminer leur leçon de botanique, Rakoto et Elie Jouve visitent le Parc d’Ambohijatovo où ils admirent des cyprès chauves, des goyaviers-fleurs, des peupliers d’Italie… (lire précédentes Notes). Mais aussi des
tulipiers du Gabon dont les belles fleurs rouges persistent toute l’année et en font des arbres ornementaux des pays chauds et humides, par excellence.
• Elie Jouve : Mais le climat de l’Imerina est trop froid pour eux. Remarque aussi ce noyer, que je crois être un noyer pacanier d’origine américaine, un Olivae-formis. Cette espèce est plutôt rare à Tana, de même que ce pin magnifique à longues feuilles pendantes, installé sur la pente, près du tunnel Cayla (d’Ambanidia) et qui semble être, sous toutes réserves, un Pin excelsa ou pin pleureur de l’Himalaya.
• R. : Est-ce que tu connais le zahana que j’aperçois près d’ici, dans un jardin privé ?
• E.J. : C’est vrai J’ai oublié de te parler de cet arbre endémique de la forêt de l’Est, remarquable par son magnifique feuillage agrémenté de délicates petites fleurs roses. À l’entrée du sentier qui grimpe vers Ambohijatovo, tu vois aussi un « sahy » ou roucou, curieux par ses grosses et multiples capsules brunes, garnies de poils rudes et remplies de petites graines rouges. Mais dis-moi, que marques-tu sur ton papier ?
• R. : Si c’est un bon arbre, je mets Tsara, si c’est mauvais, j’écris Ratsy. Pour ne pas me tromper plus tard.
• E.J. : Très bien, mais nous n’avons pas encore fini, tant il y en a ! Allons du côté du Palais de la Reine. Regarde, près du mirador du poste de police d’Ambohijatoovo, ces quelques arbrisseaux au feuillage composé qui ressemblent à des Jacaranda. Ce sont des flamboyants, mais ici, leurs fleurs rouges ne flamboient pas. Le climat ne leur vaut rien. Tu peux marquer Ratsy…
• R. : Et que voit-on ici à Andohalo?
• E.J. : Sur le terre-plein de l’État-major, Place d’Andohalo, tu vois quelques superbes Cryptomeria japonica, au port élancé, très
élégants avec leurs rameaux disposés en
verticilles étagés harmonieusement et impeccablement ordonnés. Nombreux sont ceux qui
existent en ville, dans les propriétés privées. Moins commun est l’Araucaria imbricata ou Excelsa, très décoratif également. Montons au Rova… Connais-tu ces grands arbres qui ornent la cour du Palais de la Reine ?
• R. : Oh ! oui Vazaha. Ce sont des
amontana, notre arbre sacré d’autrefois. Il y en a dans tous les Rova, à Ambohimanga, à Antsahadinta, à Ambohidratrimo, à Ilafy, à Alasora et dans beaucoup d’autres endroits
historiques de l’Imerina. Autrefois, on célébrait beaucoup de cérémonies sous leur ombrage.
Et cet autre arbre est également sacré pour nous, l’ aviavy, avec ses feuilles plus petites et qui tombent.
• E.J. : Tous deux, l’ amontana et
l’ aviavy sont des espèces de figuiers plus ou moins comestibles. Évidemment, ceux-là, tu vas les noter Tsara !…
• R. : Vrai ! Mais il faut quand même que je réfléchisse. Le climat, le sol, les graines bonnes ou mauvaises, moi, je n’y crois pas. Ce n’est pas du tout ça, Vazaha. Je crois que j’ai trouvé pourquoi ça pousse ou ça ne pousse pas à Tana.
• E.J. : Tu es plus fort que moi, Rakoto ! Dis un peu ta raison… ?
• R. : Eh ! bien, c’est qu’il y a beaucoup d’arbres qui n’aiment pas la civilisation. Ils préfèrent la vie sauvage, le grand air, sans le bruit et sans la fumée des autos. Surtout, c’est parce qu’ils sont un peu comme les femmes, ils ont l’esprit de contradiction. Tu voulais qu’ils poussent, ils n’ont pas poussé. Les autres, ils ont poussé tout seuls sans que tu le veuilles… et tu ne sauras jamais pourquoi, malgré tes études et ton expérience.
Recueillis par Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
Antananarivo, ville fleurie, charme ses visiteurs
«La capitale du roseau et de bois périssables était devenue de pierre et de briques durables» (Sibree, architecte). Mais les Européens ne se contentent pas de reconstruire la ville, ils font aussi beaucoup pour l’embellir.
« Alors qu’il n’y avait pas d’arbres autrefois, ils ont appris aux habitants à cultiver les beaux arbres, les arbustes et les fleurs exotiques. Eucalyptus, filaos, bouguinvilleas, lilas du Cap sont plantés à partir de 1865. » Les botanistes du Spécial Tananarive de la Revue de Madagascar (1952) citent alors Sibree : « Et vingt ans plus tard, on en rencontre partout. »
Le goût des jardins et la culture des fleurs se propagent très rapidement chez les habitants d’Antananarivo. sans être exhaustif, depuis les choux et les laitues jusqu’aux pruniers et pêchers en passant par les roses, les œillets, tout est aussitôt recherché, planté, diffusé et adopté d’enthousiasme par les Merina, soulignent les auteurs du numéro spécial de la revue de Madagascar.
Ces derniers insistent notamment sur le domaine catholique d’Ambohipo parce que c’est là qu’éclosent les projets d’utilisation des arbres en vue de l’urbanisme. Le parc est créé sur les terrains d’alluvion des bords du lac de Mandroseza, où sont essayées quarante sept familles d’arbres tant européens qu’exotiques. Il restera l’ancêtre de tous les parcs et jardins d’Antananarivo. C’est aussi là que fonctionnent les nouveautés « que pouvaient représenter pour les Tananariviens un moulin à vent, une pompe aspirante et refoulante et enfin une charrue ».
C’est aussi à Ambohipo qu’ils prennent l’habitude d’aller se procurer « les premières pommes de terre, laitues et carottes ainsi que les premiers choux, céleris et artichauts ». De leur côté, les résidents anglais rivalisent pour obtenir les meilleurs plants, les meilleures graines.
Selon le Dr Henri Poisson, tous les poètes, tous les amis de la Nature sont séduits par le charme d’Antananarivo, « ville fleurie étendue largement sur ses collines granitiques, roses à l’aurore, plus dorées au coucher du soleil. Les uns l’ont chanté en vers harmonieux, les autres n’ont cessé d’admirer la splendeur de ses jardins et ses belles frondaisons d’arbres séculaires ».
Le Dr H. Poisson rappelle d’ailleurs que, déjà, sous la monarchie merina, les dignitaires et les familles riches introduisent dans leurs vastes propriétés les plus beaux arbres du pays. Ils cultivent aussi « avec soin » les roses, les œillets, les hortensias, les fuchsias et une grande variété de bégonias aux feuillages bigarrés.
Et si Jean Laborde crée à Mantasoa des jardins magnifiques et le premier parc zoologique et botanique, ce sont surtout les Réunionnais et les Mauriciens établis à Madagascar « qui ont amené et développé le culte de la fleur, rappelant à leurs yeux les splendeurs naturelles de leurs iles ». À partir de la période coloniale, au Jardin botanique de Tsimbazaza, à la fin de la saison sèche, les rocailles splendides offrent aux visiteurs les riches palettes écarlates ou jaune d’or d’Aloe et des Kalanchoe.
En outre, les voyageurs ou les touristes qui arrivent à Antananarivo pour la première fois, sont « littéralement » éblouis, surtout le vendredi, jour du marché hebdomadaire du Zoma, par la profusion des fleurs proposées aux acheteurs. Et le Dr H. Poisson d’énumérer : « En mai et juin, ce sont les reines-marguerites, les gaillardes, les coréopsides, les zinnias aux teintes multiples, les cosmos roses, rouges ou blancs, les tagètes rutilants d’or et les tons chauds des œillets mêlés aux suaves émanations des violettes ; en décembre, des roses et des dahlias somptueux. »
À côté des végétaux autochtones tels les orchidées, acanthacées, fougères, palmiers…, la majeure partie des fleurs sont cultivées dans la capitale, comme les roses, glaïeuls, œillets, verveines, zinnias, immortelles, pieds d’alouette, lis, pavots, bleuets, géraniums, bégonias, etc.
« Elles forment dans les faubourgs et la banlieue des étendues multicolores. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
Le grand amour des Tananariviens pour les fleurs
ÀAntananarivo depuis la colonisation, toutes les cérémonies familiales et religieuses, toutes les fêtes officielles s’accompagnent de gerbes de fleurs magnifiques. Ainsi, des naissances, baptêmes, communions, anniversaires, fiançailles, mariages aussi bien chez les Malgaches que dans les familles européennes. Même les cercueils des morts conduits au champ du repos, disparaissent sous d’énormes couronnes et bouquets. Le cimetière d’Anjanahary
« n’apparait pas comme une sinistre nécropole, mais offre l’aspect d’un grand parc ensoleillé, émaillé de couleurs éclatantes et de frais ombrages », décrit le botaniste Henri Poisson, en 1952.
Les avenues et les places sont ornées de massifs fleuris toute l’année et la direction des Parcs et jardins cultive sans arrêt, sur un vaste terrain, les plantes nécessaires à la décoration des squares et des boulevards. De plus, dans chaque maison particulière, si modeste soit-elle, on voit toujours quelques platebandes fleuries. « Entrez dans une de ces accueillantes demeures, vous allez y rencontrer une collection végétale qui ferait la joie et, peut-être en certains cas, le désespoir d’un botaniste. »
Le Dr H. Poisson donne quelques exemples. Les orchidées y vivent en plein air et donnent « généreusement » des grappes de fleurs étranges, aux parfums aussi variés que subtils. À côté de quelques raretés de la grande sylve orientale, adaptées au climat changeant de l’Imerina, « on remarque des espèces horticoles bien connues dans les serres de France, qui furent apportées depuis longtemps de l’Inde, de Ceylan (Dendrobiums et Cypripèdes), de La Réunion, de Maurice, de l’Afrique du Sud ou du Kenya, voire de l’Amérique (oncidium jaune, sobralia pourpre dont les admirables fleurons rappellent les Cattleyas) ».
On y contemple également la « comète », la plus grande orchidée de Madagascar avec son étoile blanc mat et ses longs éperons verdâtres (Angraecam sesquipetale) remplacée plus tard par une autre presque similaire, originaire des rochers de l’Imerina (Angraecum sororium) ainsi que de plus petites orchidées aux formes curieuses, « exhalant le soir une délicieuse odeur de vanille ou d’oranger ».
Chez quelques horticulteurs habiles et au Parc botanique de Tsimbazaza, se trouvent les deux magnifiques espèces de l’ile Sainte-Marie (Eulophiella Roempleriana et Eulophiella Elisabethae), « si rares et si recherchées dans les serres d’Europe ». Une autre, « rouge pourpre à opulents épis », venue jadis d’Amérique, adopte définitivement Madagascar comme seconde patrie. « Elle est devenue malgache, s’accommodant de tous les sols, de tous les supports, de tous les climats, vigoureuse et fleurissant toute l’année. On la rencontre dans les forêts côtières, mélangées aux espèces autochtones : c’est l’Epidendrum O’Briennianum. »
Dans les parties ombreuses et bien abritées des vents, indique également le Dr H. Poisson, fleurissent au début de l’année « l’Orchidée de la Reine » qui constitue dans l’Ankaratra, à Manjakatompo, de vastes pelouses violettes (Calanthe warpuri), puis de belles espèces de phajus et de gastorchis ainsi que des disa. Ailleurs, de « gracieux palmiers aux larges frondes », une prodigieuse variété de fougères terrestres ou épiphytes (adiantes, méphrodiums, polypodes, cornes de cerf, etc.) voisinent avec les rosiers, les azalées, les hibiscus, les gardénias et les franciséas, ou des frangipaniers blancs ou roses aux odeurs pénétrantes. « Près des bassins, des arums, des montbrétia, des glaïeuls, etc. »
« En cette ville au charme prenant, tout le monde aime les fleurs et le commerce, qui en résulte, devient chaque jour plus important. » Des fleuristes professionnels, européens et malgaches, savent mettre en valeur cette richesse, et « leur goût et leur habileté réalisent des merveilles ». Pour conclure son article, le Dr Henri Poisson signale: « Les salons annuels de peinture montrent une belle proportion de toiles et d’aquarelles consacrées aux fleurs, et l’Académie malgache possède dans ses collections, une soixantaine de planches d’orchidées, œuvre du célèbre Ralambo, d’une grande valeur artistique. Et chaque année, les deux sociétés d’horticulture organisent des expositions fort réussies d’orchidées, plantes vertes de rocailles et fleurs coupées qui font l’admiration des visiteurs. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
Un camp militaire à position très stratégique
La première visite de Ranavalona Ire dans la région de Tsinjoarivo, la conduit au sommet d’Andrangalisa ou Vohitrarivo, une colline à environ
1 200 mètres d’altitude. Le seigneur Ramanjaka y réside, donc son vassal puisqu’à l’époque, l’actuel Vakinankaratra fait déjà partie du royaume de l’Imerina.
La reine envisage d’y installer son Rova de villégiature puisque les infrastructures nécessaires existent déjà, qu’il suffit d’aménager. Comme tout village fortifié des Hauts-Plateaux, on y accède par un grand fossé qui fait le tour du village et qui donne sur un tunnel aboutissant à la porte de pierre de l’entrée et sur la sortie du village. En outre comme dans toute la région, la colline est recouverte d’une forêt primaire qui constitue également une protection naturelle.
Néanmoins, Ranavalona décide de s’établir à Tsinjoarivo pour éviter la traversée de l’Onive, très risquée en saison des pluies. Mais comme la colline a vue sur toute la région orientale, elle y installe un camp de Voromahery, soldats-colons.
Plus tard, au début de la période coloniale, le général Joseph Simon Gallieni maintient encore le camp militaire du fait de la position stratégique de Vohitrarivo dans sa politique de pacification. Les soldats peuvent faire des incursions dans la forêt toute proche où se cachent les nationalistes Menalamba.
À l’époque, d’après une centenaire qui, malgré ses pertes de mémoire, a des résurgences de son passé, les Vazaha (Blancs) se font annoncés par des coups de fusil avant d’entrer dans le camp par mesure de précaution.
Malheureusement en 2001, profitant des troubles politiques qui perturbent la vie nationale, un incendie « criminel » est allumé dans la forêt de Vohitrarivo, détruisant l’emplacement du camp militaire dont il ne reste plus qu’un foyer à trépied et trois tombeaux, mais nul ne sait qui y sont enfouis. Du fait de l’existence de ces derniers, il est interdit d’y amener de la viande de mouton et de porc ainsi que de l’ail.
Aujourd’hui, une pierre levée est installée au milieu des trois tombeaux, sur laquelle les paysans de cette zone continuent de sacrifier un zébu. Pour ce faire, ils se cotisent car ce sacrifice annuel est fait pour demander à Zanahary et aux Ancêtres la protection des cultures contre la grêle.
Le rite se déroule soit le premier jour du mois d’Alahamady, jour faste, soit le premier jour du mois d’Alakaosy, jour difficile. Les animaux sacrifiés ont une teinte rouge (couleur royale) pour Alahamady, handicapés des pattes pour Alakaosy.
Le choix du premier jour d’Alakaosy s’explique par le fait qu’étant un jour « dur » dans un mois « dur », il peut vaincre la force de cette catastrophe naturelle qu’est la tombée des grêles. Et pour respecter la coutume, après le rituel les villageois envoient la culotte du boeuf sacrifié (vodihena) aux gardiens du Rova, actuels locataires de l’ancienne résidence royale.
Tout près des tombeaux, se trouvent également trois arbres « intouchables ». Selon les villageois, l’un d’eux notamment « saigne » quand on
« blesse » son tronc. Cela vient sans doute de la couleur de la sève qui en coule.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
Virée de Ranavalona à Tsinjoarivo
Comme la coutume l’a établi depuis des temps immémoriaux, Ranavalona Ire pour qui Jean Laborde a construit le Palais d’été de Tsinjoarivo, dans le district d’Ambatolampy, ne quitte jamais le Rova par la grande porte du nord-est par où elle entre. Pour sortir, elle emprunte le portail du sud-ouest, qui mène également aux deux célèbres chutes de l’Onive, Ambavaloza en amont et Andriamamovoka en aval. Cette rivière coule au pied du Rova.
Le nom d’Ambavaloza vient de deux rochers situés au pied de la chute. Très visibles lorsque l’eau est basse pendant la saison sèche, ils donnent l’impression de former une gueule ouverte de fauve où l’eau s’engouffre avant de la rejeter.
Tant les historiens que les villageois affirment que c’est là que se pratique le « jeu favori » de Ranavalona Ire, « reine cruelle » comme certains aiment à l’appeler. Il consiste à jeter en amont de la chute des veaux réquisitionnés chez les éleveurs. Emportés par le courant, ils se débattent avant de se fracasser sur les rochers de la rivière. Ce spectacle serait très apprécié par la souveraine. Quand les veaux viennent à manquer, elle y ferait précipiter les prisonniers dont les peines dépassent quatre années de réclusion.
Pour atteindre la chute d’Andriamamovoka en aval, il faut descendre un grand escalier de pierres qui a aussi son histoire. Jadis avant de se marier, les fiancés doivent se présenter devant la Reine pour recevoir sa bénédiction. Cependant, elle ne la donne qu’après que le jeune homme et la jeune fille, chacun de son côté, descendent les 257 marches qui forment l’escalier. Nombre que chacun doit par la suite dire à la souveraine.
Si leurs deux réponses sont justes et concordent, ils reçoivent ce « tsodranon’ny mpanjaka » tant espéré. En revanche si elles sont fausses et, de surcroît, ne concordent pas, elle les sépare immédiatement car, argue-t-elle, ils seraient incapables de s’entendre et de vivre en harmonie.
La chute d’Andriamamovoka porte bien son nom. À quelques marches de la passerelle d’où l’on a une belle vue sur la chute, on se fait déjà aspergé par des « poussières » d’eau. En reflétant les rayons du soleil, ces gouttelettes dévoilent un arc-en-ciel dont l’emplacement varie selon la position du soleil: à l’ouest dans la matinée, à l’est dans l’après-midi. La tradition orale soutient pourtant que cet arc-en-ciel n’apparaît que si l’on siffle d’une certaine manière.
En saison sèche, quand l’eau est très basse, il est possible de traverser la rivière en empruntant les gros rochers qui constituent son lit. La Reine, elle, se contente d’une plateforme naturelle située près de la chute, pour prendre son bain. Elle se laisse aspergée par les embruns de l’eau qui vient frapper le bas de la plateforme, précisent les villageois. Il semble également que c’est près de cette plateforme que se déroulent les sacrifices rituels de bœufs « volavita » organisés à Tsinjoarivo.
C’est entre les deux chutes d’eau également que sont exécutés les jeunes gens qui tiennent compagnie à la Reine, la nuit précédente. Au petit matin, des éléments de la garde royale entraînent chaque malheureux élu vers son destin, au bord de l’Onive, pour le décapiter. Par cet acte, dit-on, elle supprime la preuve de son inclination pour les beaux mâles du village. Par respect pour ces « victimes innocentes », il est interdit de salir, de quelque manière que ce soit, l’espace entre les deux chutes. C’est d’ailleurs l’unique tabou qui existe dans le Rova de Tsinjoarivo et ses proches environs.
Une autre coutume populaire se déroule au pied d’Andriamamovoka jusqu’en août 2008. Sur la rive occidentale de la chute d’Andriamamovoka, le sorcier et guérisseur Rainizafindraizay soigne le peuple au début du
XXe siècle. Selon la tradition orale, il donne rendez-vous aux malades sur la butte d’Ankadiazandrano où se trouve encore aujourd’hui son « armoire à pharmacie ». C’est là qu’il conserve les « fanafody » (médicaments) dont ont besoin ses malades. Il les fait aussi danser les rochers d’Andriamamovoka. C’est ce qui aurait donner lieu au proverbe: « Sikidy mila voa tsihary, ka mampandihy marary » (divination qui cherche la petite bête, oblige les malades à danser).
Toujours d’après la tradition orale, répondant à l’appel d’une « Fille de l’eau », il lui arrive de plonger au pied d’Andriamamovoka pendant deux à trois heures. Durant son immersion, la « Zazavavindrano » lui dicterait tous les soins à prodiguer à chaque malade et indiquerait les « médicaments » à prescrire, toujours à base de plantes et d’arbres, médicinaux en principe. Un jour, dit-on, il plonge , mais ne réapparait plus. Son corps n’est retrouvé que trois jours plus tard assez loin d’Andriamamovoka, entraîné par les eaux de l’Onive.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Madatana
Des belles collines rattachées au Rova de Tsinjoarivo
La commune rurale de Tsinjoarivo conserve de très jolis sites autour de son Palais royal. Mahatsinjo est autrement appelé la « Colline aux Soixante Hommes » depuis 1832. D’après les villageois, ce sont des prisonniers issus des quatre coins du Royaume merina, réduits à l’esclavage à perpétuité pour avoir exporté illicitement du riz à une époque où la Cour d’Antananarivo décide de chasser tout étranger qui refuse de se soumettre aux lois et aux corvées royales (sous Ranavalona Ire). Ils sont toutefois choisis parmi les détenus auxquels le gouvernement peut se fier. Ils sont à la fois des corvéables, des soldats et des colons.
Leur mission est, en effet, triple, car la butte de Mahatsinjo traduit tous les sens du terme: guetter, apercevoir, prévoir la subsistance en cas de pénurie. En effet, situé à mi-distance entre Nandihizana et le Rova, Mahatsinjo permet de guetter l’arrivée d’éventuels ennemis. De plus, il est prévu qu’en cas d’attaque venant de l’extérieur, ils auront à prêter main forte à la garde royale en attendant l’arrivée des soldats de Vohitrarivo. C’est également sur ce sommet que le peuple acclame l’entrée de la Reine dans le Rova. Enfin, en tant que colons, ils ont défriché le terrain pour y cultiver des arachides. La production sert à la fabrication d’huile et à l’alimentation.
Plus tard, avec l’arrivée des Français qui ont aboli l’esclavage, la plupart retournent dans leurs pays d’origine, emportant leurs morts. Aujourd’hui, il ne reste plus aucune trace de leur présence puisque le lieu est devenu un champ de tubercules des villageois.
Mais on trouve aussi à Tsinjoarivo la Colline des Trente Hommes. Pour bâtir les pavillons du Rova de Tsinjoarivo, Jean Laborde fait appel, en 1834, à des artisans locaux, depuis rattachés au service de la Résidence royale. Ils sont au nombre de trente, tous spécialisés dans leur domaine
respectif, la charpente, le fer, la construction. Pour faciliter et accélérer les travaux, on les installe sur cette colline avec femmes et enfants. La construction terminée en 1836, ils y restent pour assurer les réparations et les entretiens des pavillons. Et comme les 60 hommes de Mahatsinjo, ils renforcent également la garde royale en cas
d’attaque extérieure. Ce qui ne s’est jamais produit. Aujourd’hui encore, on peut remarquer sur les lieux un foyer à trépied, une des trois réserves de riz et un tombeau. Un peu plus loin, deux autres caveaux se font remarquer. L’ail est le seul tabou à cet endroit.
L’Onive qui coule au pied du Rova de Tsinjoarivo, l’encercle à l’ouest et au sud avant de poursuivre son cours vers l’est pour rejoindre le fleuve Mangoro, près de Moramanga. Dans la commune de Tsinjoarivo, plus précisément à partir d’Ambatomainty en amont, elle est constellée de sept îlots (quatre à l’ouest du Rova, trois à l’est) dont le « Nosin-dRamahatra » et le « Nosin-dRamonja ». Le septième est Anosimasina, au pied de Vohitrarivo.
Beaucoup de mystères planent autour de ce dernier îlot et les dires des villageois diffèrent concernant le tombeau tout en pierres construit sur la butte qui le surplombe. En tout cas, du fait même de son nom, Anosimasina, il est certain qu’il s’agit de gens de caste noble. Il est également sûr qu’il s’agit de sœurs. Les personnes interrogées varient sur le nombre de corps qui y sont ensevelis. Les uns parlent de sept sœurs (sept comme les îlots), certains de trois, d’autres encore indiquent le chiffre huit. C’est ce dernier nombre qui est admis par la majorité des natifs de la zone. Ils ignorent cependant qui elles étaient et dans quelles circonstances elles étaient mortes.
Pourtant, en 2009, un homme évoque un seigneur, celui qui résidait à Vohitrarivo avant d’emménager sur la colline voisine Manjaka, à l’arrivée de la reine Ranavalona Ire. En réalité, une autre tombe se trouve à l’est du premier tombeau où serait enseveli le père des huit jeunes princesses. Mais rien ne prouve qu’il s’agisse de celui de l’ancien seigneur de Vohitrarivo.
Des trépieds en pierre de foyer sont encore visibles. Ils semblent indiquer que l’îlot est jadis habité car ils traduisent les soirées au clair de lune « Takariva amorom-patana » durant lesquelles différentes activités se tiennent. En particulier, les adultes éduquent les enfants à travers des contes ou discutent sur un sujet plus ou moins important touchant la vie communautaire. À moins qu’ils ne s’amusent en improvisant des discours, usant de proverbes et de « hain-teny » des plus expressifs. De leur côté, les jeunes gens rivalisent dans les « hain-teny » de leur crû par lesquels ils déclarent leur flamme aux jeunes filles. Celles-ci, pour leur part, chantent, dansent pour les charmer… Activités qui se font simultanément ou non. Un sentier aujourd’hui enfoui sous les broussailles mène au tombeau. Celui-ci est d’ailleurs sévèrement protégé par la végétation. Ce qui laisse sous-entendre que plus personne ne monte jusqu’au sommet de la colline pour apporter des offrandes. Les sacrifices de coq rouge se font désormais au pied de la butte.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
Des sites historiques autour d’Ambohidranandriana
Comme autour du Rova d e Tsinjoarivo, différents sites historiques entourent le chef-lieu de l’ancien royaume d’Anbohidranandriana. Dès la RN7, à quelques kilomètres de la ville d’Eaux, on aperçoit le massif montagneux de Vontovorona. Il comprend notamment Vontovorona proprement dit (2 054m), Itendro-nord (2 049m), Itendrosud (2 070m) et Ambohikely (1 954m). La montagne de Vontovorona figure parmi les sites conseillés aux visiteurs d’Antsirabe.
Il se situe à environ 5 km de l’ancien village seigneurial d’Ambohidranandriana.
À son pied, une pierre est levée. Elle marque le campement des Andriamasoandro lorsqu’ils sont arrivés dans la contrée, bien que le premier venu sur les lieux soit Andrianony, mais il n’a fait que passer. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses personnes viennent y prier et offrir des offrandes(coq rouge, rhum, bonbons de fabrication artisanale), poussés par le besoin de se marier, d’enfanter, de faire fortune, de recouvrer la santé, etc.
Le sommet de la montagne est aménagé pour recevoir des randonneurs.
Des blocs de pierre offrent leur service pour le repos après la rude montée. De là, l’on a une admirable vue sur les quatre coins de la région, notamment sur les frontières de l’ancien État d’Ambohidranandriana. À savoir Amb o h i t s ima n o v a au Sud, Manazary à l’Ouest et Andranomanelatra-est au Nord. La limite Sud-Est se situait alors au niveau de la stèle érigée au pied de la montagne. Un autel rituel est aussi installé sur le sommet qui n’a aucun lien avec la migration des Andriamasoandro. Cependant, du fait d’un tabou qui interdit de salir les lieux, tous les randonneurs et visiteurs doivent prendre leur précaution avant d’escalader la mont a gne , en f a i s ant l eur s besoins voire en se purifiant les mains. Autre « fady » sur ces lieux sacrés, l’introduction de tout ce qui a rapport avec la viande de porc.A mbohibehivavy est aussi le nom d’une colline (1 877m) qui se trouve à Ambohidranandriana.
Nom qui vient de l’histoire légendaire d’une jeune princesse, fille du chef des Andriankazomanga qui se sont établis à Soanirariny et dans plusieurs villages proches d’Ambohidranandriana. Le chef avait deux enfants, un garçon et une fille. Pour pouvoir désigner son successeur, il leur avait demandé de gravir la colline, et le premier qui atteindra le sommet, lui succèderait. Mais la jeune femme était enceinte. Arrivée à mi-pente, elle s’est effondrée.
Aujourd’hui, Ankandemponana où elle est décédée, est un vallon recouvert d’une magnifique forêt primaire. Un bois sacré (ala masina) selon la tradition orale. Car à sa mort, la jeune femme se serait transformée en différentes essences et plantes que renferme le vallon.
Actuellement, beaucoup de plantes médicinales et six sortes d’orchidées endémiques y sont bien conservées, les habitants de la contrée n’osant pas y toucher.
Ils affirment également qu’Ankandemponana n’a jamais pu être détruit par les incendies de forêt qui ont ravagé la colline.
Toutefois, il arrive que le bois s’enflamme sans pour autant brûler. Cela annonce, soutiennent les villageois, que le régime en place va tomber. À preuve ces incendies qui n’ont pas touché la moindre branche et qui se sont produits en 1991 et 2002, années de la chute des deux régimes de l’amiral Didier Ratsiraka, et tout récemment en décembre 2008.
Tout le monde peut pénétrer dans la petite forêt, mais auparavant il faut procéder à un rituel. Il consiste à en demander l’autorisation devant l’autel installé à l’entrée du bois, où sont déposées les offrandes obligatoires: coq rouge, rhum et bonbons de fabrication artisanale. Et comme sur tous les sites rituels de la contrée, il est interdit de s’y soulager et d’y amener de la viande de porc.
Le point d’eau d’Ankafotra, en pleine forêt d’Ankafotra, est un lac artificiel créé sous la colonisation à partir d’une source intarissable située sur son rivage nord-ouest.
La source est considérée comme sacrée et de nombreuses personnes des hameaux environnants et même d’Ambatolampy viennent y puiser car son eau serait bénéfique. Du fait de son caractère particulier, la viande de porc y est tabou.
Différents poissons d’origine locale (tels les « trondro gasy ») et importés (black bass, carpes royales, Fibata, tilapia) peuplent le lac, mais ils se raréfient de plus en plus. Pas étonnant, un véritable « massacre » d’arbres clarifie la forêt et des troncs, des écorces, des branches salissent le lac. À noter que le nom d’Ankafotra vient de « hafotra » dont l’écorce sert à fabriquer des cordes.
Il est également à préciser que la forêt d’Ankafotra, qui se situe en plein milieu du district d’Antsirabe II, se trouve actuellement sous la tutelle administrative de celui d’Antsirabe I. Les paysans de la commune rurale d’Ambohidranandriana qui exploitent la terre, doivent la louer à 100 ariary par are. Et ce sont eux qui se chargent d’éteindre les feux de forêt, les habitants d’Antsirabe I résidant trop loin.
Pela Ravalitera
Les sérieux préparatifs d’un jugement par le tanguin
Les « Manuscrits hova » , selon Alfred et Guillaume Grandidier, « Manuscrits merina » d’après A. Délivré, constituent un document qui offre « une masse abondante et très variée de renseignements sur l’histoire et l’ethnographie ». Il fournit d’autres précisions sur les Merina et les diverses populations de Madagascar des temps anciens.
L’historienne Lucile Rabearimananana explique qu’il est difficile de déterminer le ou les auteurs de ces Manuscrits. Certains avancent qu’ils sont écrits par « l’un des derniers survivants des ombiasy de Ranavalona Ire ». D’autres parlent d’un « vieil ombiasy de Tananarive ».
Quant au document lui-même, il en existait deux exemplaires dans la bibliothèque Grandidier. Une première version, l’original, est conservée au Musée de l’Homme à Paris (Fonds Grandidier du département de Madagascar). La deuxième qui devait être, d’après Alfred Grandidier, la version définitive, est une copie de la première, offerte à l’Académie malgache par son fils Guillaume, en 1954.
C’est sur ce « manuscrit anonyme de l’ombiasy» que Lucile Rabearimanana se base pour relater l’ordalie par le tanguin. Il comprend quinze cahiers, plus un seizième d’Alfred Grandidier. Cet usage est pratiqué quand c’est le souverain qui ordonne l’administration du « Cerbera venenifera », par exemple, à cause d’une accusation de sortilège, ne serait-ce que par un seul témoin.
L’accusé doit subir l’épreuve du tanguin dans la maison où on le trouve et l’arrête, même si ce n’est pas la sienne. Avant tout, on l’informe du motif de son accusation. Puis toutes les issues de la case sont fermées, toutes les fentes bouchées pour qu’aucun rai de lumière n’y pénètre. Cependant, on éclaire la pièce à l’aide d’une petite lampe.
Le document énumère également les différents « instruments » et « ingrédients » qui sont à rassembler pour réaliser l’ordalie. À commencer par deux noix de tanguin qui seront râpés et deux petits poulets qui serviront à « l’épreuve initiale ». D’après Lucile Rabearimanana, les termes exacts se traduisent par « qui succombent à la calamité ». Cette épreuve est destinée à vérifiée l’efficacité du poison. Une poule est aussi exigée pour en retirer la peau : « On choisit une poule bien grasse pour que, dit-on, les trois morceaux de sa peau que l’accusé avalera, puissent ressortir. » On prend une nasse à poissons où
l’accusé devra vomir pour qu’on les retrouve.
On coupe aussi un bouquet ou une spathe (qui porte les fruits) d’un bananier qui contiendra « le tanguin une fois râpé avec la râpe à tanguin du prince qui administre le tanguin ». L’historienne explique que ce dernier a d’abord été choisi parmi les Zanakandrianentoarivo, mais depuis l’avènement d’Andrianampoinimerina, il est toujours issu des Zanakandriamasinavalona. Il est assisté d’un « Vadintany » et d’un « Andriambaventy » ou encore du fokonolona de la localité pour veiller au bon fonctionnement du « jugement ».
Il faut aussi préparer une bouillie de farine appelée « lasitra » et faire cuire du riz « ampangoro » en guise de « lafika ». Si l’accusé doit manger le riz avant l’absorption du poison, pour que « le tanguin trouve quelque chose » dans son estomac », on le gave de bouillie de farine pour l’aider à rendre les trois morceaux de peau de poule. Un instrument est également utilisé par « le prince qui administre le tanguin », la lance à tanguin. C’est une lame courbe de petites dimensions.
Un rituel précède l’ordalie proprement dite. Il y a d’abord les imprécations lancées à l’esprit du tanguin appelé Manamango. Lucile Rabearimanana indique que les anciens Malgaches, surtout les Merina et les Sakalava, croient que l’esprit du tanguin a la vertu de révéler ce qui est caché. Ils pensent ainsi discerner les coupables des innocents.
Le rituel prévoit aussi des déplacements au sud et au nord de la pièce, le passage de l’accusé et du poison au-dessus d’un feu, la préparation par le prince administrateur du poison des deux noix de tanguin épluchées, râpées, arrosées « d’une eau n’ayant pas vu le jour », le test sur les deux jeunes poulets, l’installation de la nasse devant l’accusé….
Tout au long de la cérémonie également, des imprécations sont proférées. Elles tournent surtout autour de l’éventuelle culpabilité ou innocence de l’accusé…
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
Un tribunal au rituel compliqué
Après les différents préparatifs en vue d’une ordalie par le tanguin d’un présumé sorcier, le maitre de cérémonie qui administre le poison, en général un prince, procède à l’épreuve préalable sur les deux petits poulets, afin de tester l’efficacité du produit. Et ce, toujours en s’adressant au Manamango, l’esprit du tanguin, qui est « juste et équitable » (présentation de Lucile Rabearimanana, 1975, lire précédente Note).
Toutefois, le rituel exige que le premier petit poulet risque la mort, tandis que le second sera épargné. Il est à rappeler que tout se déroule dans une case fermée qui ne laisse passer aucun rai de lumière.
Après cette épreuve préalable, c’est au tour de l’accusé de passer en jugement. D’après le Manuscrit de l’Ombiasy anonyme, les assistants du prince administrateur du tanguin, lui font avaler, un à un, les morceaux de peau de poule. Puis, il se traine un peu vers le sud de la pièce, les assistants lui confectionnent un petit coussinet d’herbes, ressemblant à celui qu’une chercheuse d’eau met sur sa tête sous la cruche, pour s’asseoir. Ils lui disent d’allonger les jambes, lui versent un peu d’eau dans les mains qu’il passe sur la tête, la poitrine et les pieds.
Ceci fait, le maitre de cérémonie lui fait boire le tanguin, en disant : « Je vais prier car je n’ai pas vu de mes propres yeux, je ne fais que mon devoir. » Autrement dit, il n’a pas été témoin du crime dont est accusé le suspect. Cousins, dans son Fomba Malagasy, écrit, pour sa part que l’accusé boit le tanguin avant d’avaler les trois morceaux de peau.
C’est là que le prince administrateur du tanguin commence à prier : « Ô Manamango, tu es maintenant dans le ventre d’Untel, tu as déjà observé, tu as cherché, tu as recherché, tu as scruté son cœur, son être, tu as pu tout voir à travers ses os et sa peau, tu as pu reconnaitre le bien et le mal dans son ventre. Alors, s’il n’a pas ces sortilèges mortels, s’il n’a pas de charmes capables de tuer (…), mais que les gens se sont servis de sortilèges pour qu’il soit vaincu à l’épreuve, des pièges contre les innocents (…), tu es le porte-parole du Créateur, le remplaçant de Dieu qui ne peut être atteint par les sortilèges, redonne-lui la vie, ranime-le promptement, prends soin de sa vie, prends soin de son cœur, hâte-toi (…) déverse-toi, répands-toi sur la nasse, que le roi et le peuple te voient, car tu ne devrais pas être dans le ventre d’Untel s’il n’a ni sortilèges ni mauvaises intentions… »
L’accusé défait alors le coussinet sur lequel il est assis, lui donne un coup du pied gauche et se pousse vers le nord de la pièce.
Les assistants du maitre de cérémonie puisent avec une assiette de terre ou un fragment de calebasse la bouillie de farine à laquelle on ajoute de la bouillie froide si c’est trop chaud, pour qu’il puisse la boire sans difficulté.
Pendant tout ce temps, la famille et les proches de l’accusé attendent à l’extérieur de la maison le verdict du tanguin. Ils prient aussi : « S’il a bien ces sortilèges, s’il a ces mauvaises intentions qu’il meure ; s’il n’a rien de cela, qu’il vive ! » Ils le répètent comme une véritable litanie et les assistants du prince font avaler de la bouillie de farine à l’accusé jusqu’à ce qu’ils rendent les trois morceaux de peau de poule ou qu’il soit vaincu. Et même si les morceaux de peau sont vomis, on continue à lui donner de la bouillie jusqu’à ce qu’il n’en a plus envie.
On lui donne alors un peu de riz cuit ou « tsakitsaky » à mastiquer, suivi de « ranon’ampango » pour se laver les mains et se rincer la bouche. On lui sert également un peu de « ventin’ampango» dans lequel on prépare le « ranon’ampango ». Le « ventin’ampango » est constitué par les grains de riz grillés, collés aux parois de la marmite une fois que l’on y verse de l’eau à chauffer.
Après avoir mangé le « ventin’ampango », on prend de l’eau dans une cruche à laquelle on ajoute du « tsiriry » et du « ahibita », herbes considérées comme sacrées, et une pièce de monnaie. L’accusé innocenté se baigne avec cette eau.
L’épreuve du tanguin, après les félicitations à l’accusé jugé non coupable, ne prend fin que lorsque le souverain l’ordonne. Et qu’aucun autre présumé
coupable n’est présenté pour la même affaire.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
Les malheurs du négociant Lebel dans l’Est
«Les tribulations de Lebel, négociant-voyageur, sur les Hauts-plateaux malgaches (1800-1803) » est le titre d’un document de J.-C. Hébert, publié dans la revue historique Omaly sy Anio du second trimestre 1979.
Quelques années après qu’il débarque dans l’Ile de France (Maurice), en 1777, Lebel peut acquérir un bateau et se lance dans la commerce de traite. Négoce qui le mène surtout sur la côte africaine, au Mozambique, et de là, aux Seychelles où il introduirait des esclaves. « Ces iles, au Nord-est de Madagascar ne sont qu’un relais pour atteindre les Mascareignes, sur le trajet normal dicté par la direction des vents alizés. »
La Révolution française ne lui apporte que des déboires, indique J.-C. Hébert. D’une part, « la traite fut interrompue presque totalement pendant une dizaine d’années ». D’autre part, ses nombreux débiteurs ne le paient pas et « il est lui-même aux abois ». En 1797, il achète un nouveau bateau, l’ « Elisabeth ». Ses créanciers le font saisir, mais il peut néanmoins lever la saisie et achète des marchandises de traite. Il quitte l’Ile de France le 3 aout 1798, pour commercer à Madagascar.
« Mal lui en prit ! » À peine est-il arrivé sept jours dans la rade de Toamasina que son brick est saisi par les Anglais, le 13 aout, alors qu’il charge du fret. Il sauve toutefois une partie de sa cargaison, mais se fait ensuite voler et son magasin est incendié. Son malheur ne s’arrête pas là, car là-dessus, il est atteint de fièvre et reste malade durant presque toute l’année 1799. C’est à cette époque qu’il rencontre le botaniste Michaux, installé à Isatrana avec le naturaliste Chapelier.
Fin 1800, il est à Iaroka, petite bourgade sur le fleuve du même nom (aujourd’hui le Rianala), située sur l’itinéraire des traitants allant de Toamasina jusque dans l’Ankay, sur le chemin des Hautes-terres de l’Imerina. En mars de l’année suivante, après quatre mois de séjour à Iaroka, il forme une petite expédition grâce aux relations qu’il s’est faites. D’ailleurs, dans une lettre en date du 10 juin 1802, « il avoue avoir reçu pour femme, la petite-fille unique de Tama-Sin-Dia (Toamasin’andria) des mains de son grand-père et qu’il était lié à Tsialana, frère du roi Zakavola, chef de Tamatave ».
D’après J.-C. Hébert, ses relations semblent encore bien meilleures avec les gens d’Iaroka où il se familiarise avec la langue locale. Il engage des « marmites » (porteurs, hommes à tout faire) et s’enfonce dans la forêt de l’Est, en direction de l’Ankay. Là, il doit attendre plus d’un mois la saison de la traite. Il ne peut ramener d’esclaves avant que les bateaux ne soient annoncés dans la rade, et il en profite pour poursuivre sa route en direction d’Antananarivo, « dépassant les montagnes de Tanambolo (Angavo), fin mai-début juin 1801.
Dans une autre lettre du 20 mai 1802, il affirme qu’il aurait « contracté des liaisons étroites avecDianampoïne (Andrianampoinimerina), souverain du païs d’Ancove et d’Emir». Hébert commente : « Ce qui n’est peut-être qu’un euphémisme pour dire qu’il ne le rencontra point, la ‘liaison’ se faisant par personne interposée. »
En tout cas, il franchit la chaine de montagnes « extrêmement hautes du Tanaboul (Antanambolo ou Angavo), courant Nord-Sud et paraissant le plus élevé de l’ile ». Lebel ajoute que « ces montagnes séparent (forment frontière) le pays du nord d’Emir (Imerina) occupé par les Oves (Hova) ». Il précise : « Je les ai dépassées en prairial an IX (fin mai-début juin)». Pourtant, il n’indique pas s’il atteint Antananarivo.
« On pourrait le supposer puisqu’il prétend avoir noué des relations étroites avec Dianampoïne. Mais pas plus qu’il ne décrit la ville, il ne dépeint le grand roi Andrianampoinimerina qui s’était installé dans la capitale depuis quelques années seulement. »
Dans la même logique, Hébert estime que s’il rencontre effectivement le grand roi au cours de son premier voyage, après avoir franchi les montagnes d’Antanambolo situées à l’ouest du Mangoro, il n’aurait pas manqué de l’annoncer au général Magallon. Mais il n’en dit mot dans sa lettre du 20 mai 1802. En fait, il ne parle que de la périodicité des marchés qui se tiennent chaque mercredi. « Il n’aurait donc atteint qu’Ambohiboromanga, village situé entre l’Imerina et l lisière de la forêt de l’Est où avait lieu le marché du Mercredi. »
Ses opérations de traite terminées, son retour est assez précipité car il se méfie des brigands qui hantent les défilés. Il les « déçoit par une marche célère ».
Texte : Pela Ravalitera - Carte : P. Lapie
Un deuxième séjour inquiétant de Lebel à Madagascar
De retour à l’Ile de France (Maurice) après son premier séjour à Madagascar au début du XIXe siècle, Lebel, « négociant-voyageur » précise J.-C. Hébert, raconte son voyage dans plusieurs lettres à son ami Céré, naturaliste et directeur du Jardin des Plantes à l’Ile de France. Le magistrat-ethnographe revient sur ces narrations dans le numéro 10 du second trimestre 1979 de la revue d’études historiques Omaly sy Anio (lire précédente Note).
Il donne ainsi un extrait de la lettre du 10 juin 1802 que Jean Valette publie déjà intégralement, dans le Bulletin de Madagascar (1968), sous le titre « deux documents sur la région de Tamatave en 1802 ». Dans cette missive, Lebel déplore l’absence du « citoyen Dumaine ».
Celui-ci, à l’époque, est le chef des traites à Madagascar et réside à Foulpointe. Mais il doit pourtant quitter la ville lorsque les Anglais ravagent la « palissade », fin juin 1796 ou début 1797. « Les Betsimisaraka sont devenus irraisonnables et semblables à des enfants indociles », s’énerve-t-il.
Lebel raconte ainsi que ces derniers « s’imaginent » que les Français ont peur d’eux, depuis la prise de Foulpointe par les Anglais et « la conduite irréfléchie des Français ». En 1801, le général Magallon, gouverneur général des Iles de France et de Bourbon, ordonne effectivement d’arrêter le roi Zakavola pour le conduire à Maurice. Mais il n’y réussit pas. En septembre 1803, le roi est sagayé par ses sujets, « sans doute considéré comme traitre ».
Lebel, dans cette lettre, annonce qu’il envisage de repartir à Madagascar, mais « la poudre manque dans le commerce » et il craint fort pour sa sécurité si le gouvernement français ne lui accorde aucune protection. Il insiste surtout qu’il a déjà beaucoup investi « en moyens et grande dépenses » pour ce déplacement.
En recevant sa lettre, Céré recommande « chaudement » son ancien commis au ministre de la Marine à Paris, d’autant que Lebel lui affirme qu’il « a assez de connaissances locales et du commerce pour ne pas trop s’avancer et s’exposer en vain ». Dans sa lettre, Céré soutient qu’à son avis, « personne ne connait mieux que lui cette île immense et, peut-être, jugerez-vous fort à propos de l’y employer en conséquence ».
Toutefois, commente J.-C. Hébert, bien que la recommandation soit de poids venant d’une sommité telle que Céré, « il est douteux qu’il en reçoit une aide matérielle ». Ainsi, Lebel ne peut accomplir le voyage qu’il se propose d’effectuer en septembre 1802.
Avec quelques mois de retard, il repart pour une seconde expédition dans l’intérieur de Madagascar, du 23 décembre 1802 au 20 janvier 1803. D’après J.-C. Hébert, sur ce grand voyage il ne dispose que de deux récits rédigés une dizaine d’années plus tard.
La première narration date du 18 mars 1815 qu’il adresse à Barthélémy Huet de Froberville, et le second est envoyé au gouverneur anglais de Maurice, en 1816. C’est le plus complet, précise J.-C. Hébert. Sir Robert Farquhar entreprend, en effet, à l’époque de s’informer sérieusement sur Madagascar et entre en relation avec les anciens traitants français susceptibles de lui fournir les meilleurs renseignements. C’est ainsi qu’il contacte Lebel.
Dans son récit à Farquhar, Lebel « prétend » que c’est à l’instigation de Magallon qu’il entreprend son voyage. Ce qui n’est pas tout à fait vrai, précise J.-C. Hébert, car il est prouvé qu’il se lance dans l’aventure à ses propres frais. Il en fait juste part au général Magallon « afin d’être secondé au besoin ». Et celui-ci lui demande de se faire accompagner par un autre traitant qu’il ne connait pas encore, du nom de Lasalle.Lasalle vit à Mahanoro avec une Malgache, « Samangourou ou Angourou qui est la sœur du chef Finedou ».
Dans les deux récits, Lebel indique que ses relations avec son compagnon de route, s’enveniment assez vite au point qu’arrivés sur les Hautes terres centrales, Lasalle aurait tenté de l’emprisonner. Au retour, ce dernier aurait volé une partie de ses esclaves et marchandises, dont il aurait fait cadeau à son beau-frère, le chef Finedou. Mais ce dernier aurait rendu à Lebel ses biens.
Il se fait également voler deux esclaves et de la poudre à fusil par Soratch (ou Soratra ?), oncle maternel de Faux (Vao ?), fils de Finedou. « Ce dernier avait été autrefois, chef de l’ile du lac, (Nosy Ve ?)», souligne J.-C. Hébert en concluant ce chapitre.
Texte : Pela Ravalitera - Carte : J.-C. Hébert
Lebel, témoin d’une guerre d’Andrianampoinimerina
Contrairement aux autres traitants de l’époque, le négociant-voyageur Lebel ne donne aucun détail sur l’itinéraire qu’il suit sur les Hautes terres centrales malgaches, durant ses deux voyages (1800-1803). C’est ce qu’écrit J.-C. Hébert à ce propos (revue d’études historiques Omaly sy Anio N° 10).
Durant son deuxième voyage (lire les deux précédentes Notes), Lebel doit certainement repasser par Iaroka et par l’Ankay, pays des Bezanozano. De l’Ankay, il se dirige vers Imenabe, petite province située au sud-ouest d’Antananarivo, dont le chef-lieu est Menaberoarivo. C’est un territoire vassal de l’Andrantsay, plus au Sud, dont la capitale est Ifandana. Il ne passe pas par Antananarivo car, commente J.-C. Hébert, « ses relations avec Dianampoïne (Andrianampoinimerina) n’étaient pas si bonnes qu’il le laissait croire ».
Toujours d’après J.-C. Hébert, les traitants d’esclaves recherchent, de préférence aux Hova, les Mainty plus robustes qui constituent une main-d’œuvre plus appréciée aux iles Mascareignes. «L’Imerina était principalement peuplée de Hova et l’Andrantsay, dont l’Imenabe était un territoire vassal mainty, obtient de meilleurs prix des colons de l’Ile de France et de La Réunion».
Les membres de l’expédition semblent assez nombreux : vingt deux Betanimena « que lui avait remis ses père et mère (raiamandreny), en qualité de porteurs et qui lui restent fidèles ; huit Antevongo que lui remet Tsialana, mais qui « le provoquèrent plus de vingt fois » ; des Betsimisaraka et des Antatsimo. Dans l’Imenabe, au nord de l’Andrantsay, il aurait risqué d’être empoisonné (ou assassiné) par ses porteurs antevongo, sur l’instigation de Lasalle, et il s’échappe dans l’Imamo, pays situé à l’ouest d’Antananarivo.
Une quinzaine de jours lui suffisent pour obtenir du secours et il vient porter plainte au roi d’Andrantsay, suzerain de l’Imenabe. Ce dernier doit alors lui payer sur le champ cinquante bœufs dont il garde dix- les autres revenant à ses sauveteurs- outre dix esclaves. Par la même convention, la province d’Imamo devient sa « garantie » dans l’attente d’une rançon de deux cents bœufs et trente-trois esclaves, qu’il ne perçoit pas, mais que « le grand seigneur d’Andrantsay » aurait touchée à sa place après son retour sur la côte Est. « Cette rançon signait sans doute la mort du petit royaume d’Imenabe. »
C’est pendant qu’il est en Imenabe que le roi de l’Imerina du Sud, Ramaromanompo le convoque dans sa capitale, Anosizato. Il s’agit du fils du défunt roi Andrianamboatsimarofy, chassé d’Antananarivo. Ramaromanompo lui lance un défi : fabriquer de la poudre dont il a, sans doute, grand besoin pour se défendre « contre les emprises incessantes et inquiétantes d’Andrianampoinimerina ».
J.-C. Hébert souligne le « parallèle étonnant » avec le voyage de Mayeur, venu en Andrantsay en 1777. Le voyageur français reçoit la visite incognito du roi de l’Imerina dans ses États. Le 13 septembre, en cours de route, celui-ci lui présente un Malgache capable de fabriquer de la poudre de guerre, mais qui refuse de révéler ses talents devant Mayeur, même contre la promesse de 30 piastres.
Ramaromanompo présente à Lebel, durant son séjour, la famille royale, dont sa femme principale, son beau-frère, Andriantomponimerina, marié à sa sœur Ravaonimerina que convoite Andrianampoinimerina.
Lebel remporte le défi, mais Ramaromanompo refuse de lui livrer les esclaves promis. Au contraire, il l’expulse du territoire et il doit confier ses marchandises aux épouses du roi et d’Andriantomponimerina avec qui il semble être dans les meilleurs termes, leur promettant de revenir « après deux mois lunaires ». Puis il est reconduit au sud-est où il peut visiter le pays pendant douze jours. De là, il va au nord-est chez les deux frères Diantandroka, « Seigneurs des cornes ».
Il retourne dans l’Ankay, sans doute pour y reprendre des marchandises et revient en Imerina pour y apprendre le décès subit
de l’épouse principale de Ramaromanompo. Andrianampoinimerina profite de la circonstance pour ravager le royaume du Sud et exiger d’Andriantomponimerina qu’il lui remette Ravaonimerina, « héritière de l’Imerina », selon Lebel.
Andriantomponimerina se réfugie à Antsahadinta, la vallée aux sangsues, où Andrianampoinimerina l’attaque. Lebel assiste alors à la chute de la forteresse, dernier refuge des deux rois de l’Imerina du Sud et de l’Ouest. Après quinze jours de résistance, Andriantomponimerina abandonne sa femme à son rival et prend la fuite.
Le serment d’Ambatobe des trois rois d’Imerina
Lorsque vers 1785, Andrianampoinimerina vainc définitivement son oncle Andrianjafy, il s’accapare de son royaume dont la capitale est Ambohimanga. Les autres rois de l’Imerina, sans doute préoccupés par ses visées entreprenantes, organisent une conférence à trois près d’Ambatobe, place-frontière. Sommet réunissant Andrianampoinimerina, roi d’Ambohimanga, Andrianamboatsimarofy, roi d’Antananarivo, et Ramanandrianjaka, roi d’Ambohidratrimo.
La conférence aboutit à un serment qui consolide le partage précédemment approuvé des terres et reconnait la légitimité des droits du vainqueur sur le royaume d’Ambohimanga. C’est « à la même époque qu’Andrianampoinimerina se serait marié avec Rambolamasoandro et devait donc avoir une vingtaine d’années » (J.-C. Hébert). Un bœuf est sagayé à Ambatobe, selon le rite du « lefon’omby ». D’après les « Tantara ny Andriana eto Madagascar » du père Callet, une période de paix de sept années s’ensuit (1785-1792).
Une autre convention a lieu entre Andrianampoinimerina et Andrianamboatsimarofy essentiellement d’ordre familial, certes, « mais déjà Andrianampoinimerina vise son hégémonie sur l’Imerina toute entière ». Le roi d’Imerina donne sa fille en mariage à son cocontractant et ce dernier, de son côté, doit donner sa sœur en mariage à celui-ci. « À cette occasion, c’est le serment du velirano (eau frappée de verges) qui fut prononcé et le lieu dit en bas et au nord d’Ankadindramamy, place-frontière, prit le nom d’Andranovelezina (à l’eau frappée). »
Andrianampoinimerina prononce le serment suivant : « Si ma sœur Ralesoka ne devient pas femme d’Andrianamboatsimarofy, puisse Ambohimanga devenir l’apanage (tanimbary, rizière, en malgache, précise Hébert) de Tananarive ; et si Ravaonimerina (fille d’Andrianamboatsimarofy) ne devient pas femme d’Andrianampoinimerina, puisse Tananarive devenir l’apanage d’Ambohimanga. »
J.-C. Hébert commente : « Cette formule de serment parait à nos yeux comme une justification de la conquête d’Antananarivo par Andrianampoinimerina qui devait intervenir trois ou quatre ans plus tard. »
Les «Tantara » rapportent qu’au cours du repas qui suit, le roi d’Imerina dévoile « sa fourberie en voulant, en l’absence de son cocontractant, piquer dans la marmite de la viande du bœuf qui avait été sacrifié à cette occasion ». Il n’y réussit pas avec la pointe d’une broche en fer, mais y parvient avec le crochet de suspension de la même broche. Il aurait alors dit : « Le (bout) droit ne prend pas, mais le crochu prend bien » (la droiture ne réussit pas, mais la déloyauté
permet d’aboutir à ses fins).
D’après Hébert, les « Tantara » ne disent pas si Ralesoka devient l’épouse d’Andrianamboatsimarofy, mais il ne le semble pas. Elle serait pourtant en âge de convoler, sa différence d’âge avec son frère Andrianampoinimerina ne devant pas être très sensible. En revanche, selon toute apparence, la fille du roi d’Imerina est plus jeune et la concernant, il s’agit plutôt d’une promesse d’échange, « en quelque sorte des fiançailles ». « On ne voit pas pourquoi la convention, n’eut pas été ratifiée immédiatement par l’échange des deux femmes, si la fille d’Andrianamboatsimarofy avait été nubile. »
En tout cas, aucun des deux rois ne tient sa promesse : Ralesoka est mariée à un guerrier de l’Avaradrano, Rabasivalo, qui devient plus tard général de son beau-frère ; Ravaonimerina, de son côté, est marié à Rabehety (Andriantomponimerina), roi du Marovatana. Les « Tantara » rapportent à cette violation du serment par Andrianamboatsimarofy l’origine de la guerre qui amène la chute d’Antananarivo. Hébert fait remarquer toutefois qu’Andrianampoinimerina ne cherche nullement à récupérer Ravaonimerina en la disputant à son mari, « mais y trouva prétexte pour attaquer son père qui avait violé l’alliance jurée ».
Il précise aussi que le roi d’Ambohimanga n’entame pas tout de suite les hostilités. Il s’y prépare seulement en encourageant la défection des « sept cousins », sujets d’Andrianamboatsimarofy, qui tirent à blanc lors de l’attaque d’Antananarivo, cités par les « Tantara ». Une première attaque de ce Rova a vraisemblablement lieu en 1791 ou 1792, au cours d’une épidémie de variole qui frappe les Merinatsimo (Merina du Sud) dans leur capitale. Celle-ci est prise d’assaut, mais l’épidémie se propage chez les vainqueurs qui doivent abandonner leur conquête. Andrianampoinimerina la reconquiert début 1793. Mais alors que la population d’Antananarivo célèbre la fête du Bain, le 3 mai, les Merinatsimo surprennent les habitants et réduisent en esclavage tous ceux qui ne peuvent prendre la fuite. « Et l’on dit que Ralesoka avait été capturée, mais elle parvint à s’enfuir le soir. »
«Andrianampoinimerina ne s’attaque pas aux enfants»
Andrianampoinimerina ne prendra définitivement la ville d’Antananarivo qu’après un siège de trois mois, ce qui prouve la résistance opiniâtre des assiégés. C’est pendant le siège que, pour la première fois, seraient utilisés des cerfs-volants enflammés, des papango hazo . La même tactique est employée au siège d’Ambohibeloma du Nord, dans le pays des Sihanaka, vers 1808-1809.
La conquête d’Antananarivo aurait eu lieu à une date imprécise, 1795 ou 1796. D’après J.-C. Hébert, les Tantara ny Andriana eto Madagascar du père Callet ne donnent aucune précision et se contentent de relater que les Avaradrano d’Andrianampoinimerina conquièrent la ville trois fois et que les Merinatsimo les en chassent deux fois.
Hugon, lui, affirme, qu’au retour d’une expédition en 1808, Andrianampoinimerina est en possession de la ville depuis douze ans, soit depuis 1796. Une assez longue période de répit semble succéder à cette difficile prise. Andrianamboatsimarofy serait mort deux ans après la chute de la ville. Bien qu’ayant régné à Soananjakana (Anosizaro), il est enterré à Fenoarivo. Son tombeau est aujourd’hui à Antsahadinta. Son fils Ramaromanompo lui succède sans être tout d’abord inquiété en ses possessions. Selon la tradition merina, il aurait régné cinq ans à Fenoarivo, de 1798 à 1803, calcule Hébert à partir de la mort de son père. Lors de son deuxième voyage sur les Hautes-terres centrales, le négociant Lebel assiste aux derniers instants de sa royauté à l’été 1803.
À cette date, Anosizato est encore sa capitale. « Deux mois plus tard ( ?), c’était la déroute complète à Antsahadinta, village situé au sud d’Anosizao et que Lebel pare du nom pompeux de forteresse. » Andrianampoinimerina ne veut pas l’attaquer dès la mort de son père. Selon les Tantara, « les Avaradrano voulaient l’attaquer… », mais Andrianampoinimerina dit : « Laissons-le régner quelque temps, le royaume finira pas me revenir. » La même tactique est utilisée par le grand souverain pour la conquête du Marovatana.
Devenu roi d’Antananarivo, Andrianampoinimerina s’attaque au Marovatana. Et ce n’est que « lorsque le Marovatana fut conquis qu’Andrianampoinimerina vint attaquer Ramaromanompo », lit-on dans les Tantara. Une première attaque, peut-être avant 1800, est désastreuse. La capitale du Marovatana, Ambohidratrimo, résiste avec acharnement. Cependant, le roi a soin de déclarer qu’il ne cherche pas à faire de prisonniers, mais désire donner la paix au peuple. La leçon est sans doute cruelle, car il attend quelques années avant de reprendre la lutte et il ne s’attaque plus à Ambohidratrimo, mais aux petits villages.
Voici ce qu’on lit dans les Tantara : « Quelque temps après, le prince d’Ambohidratrimo mourut. Le peuple en fut surpris et s’écria : Nous pouvons prendre maintenant ce village car le prince est mort. Mais Andrianampoinimerina répliqua : « Vous ne réfléchissez donc pas, c’est maintenant que la guerre sera dure, puisque c’est un enfant qui règne. Le peuple demanda : Pourquoi dites-vous cela ? Sous le règne de son père, peu s’en est fallu que nous ne nous en emparions. Andrianampoinimerina répliqua : Le père était vicieux, mais le fils est encore sans défaut et Dieu protège celui qui n’a jamais péché. Le peuple resta stupéfait de la connaissance qu’avait Andrianampoinimerina des vérités surnaturelles. »
Lorsque ce roi part de nouveau pour attaquer les Marovatana à l’ouest d’Ambohidratrimo, il s’exprime ainsi : « Nous ne ferons que passer près d’Ambohidratrimo pour que l’enfant qui vient d’arriver au trône puisse faire sa volonté, pour augmenter ses défauts et l’amener à se soumettre de son propre gré. » Ainsi, le roi ne fait que passer près d’Ambohidratrimo et n’attaque que les petits villages qui, en voyant les deux pavillons Mahazovola (qui gagne l’argent) et Mahazotany (qui gagne le pays) se soumettent. Et quand ces petits villages sont conquis, Ambohidratrimo se soumet aussi de plein gré.
Le jeune prince est Rabehety ou Andriantomponimerinamandimby qui prend pour épouse la fille d’Andrianamboatsimarofy, Ravaonimerina. Et J.-C. Hébert conclut : « Il est curieux d’entendre alors de la bouche de celui qui est surnommé le Taureau aux grands yeux (Ombalahibemaso) que la vengeance peut attendre car le fils est encore sans défaut. »
Deux mamans pour Radama Ier
Andrianampoinimerina conquiert les villages de l’ouest de la capitale, grâce à l’aide de deux longs pavillons « saina » et d’une idole « sampy » (lire précédente Note). À ce propos, J.-C. Hébert (Revue Omaly sy Anio , N°10, deuxième trimestre 1979) fait remarquer que les « saina » concurrencent sérieusement les « sampy » dans leur efficacité magique. Auparavant, Christian G. Mantaux fait paraitre une étude richement illustrée sur les « Emblèmes malgaches anciens, Sceaux et drapeaux de 1787 à 1897 ») dans le numéro spécial de la Revue de Madagascar sur les dix ans d’indépendance de Madagascar (N°49-50, 1er et 2e trimestres 1970).
Concernant Radama Ier, voici ce qu’il écrit : « Déjà tout enfant, son père le faisait accompagner dans ses déplacements par deux étendards, l’un blanc Mahazovola (qui donne l’argent), l’autre rouge Mahazotany (qui donne la terre), le premier arborant la couleur de l’idole Kelimalaza et l’autre, celui de Manjakatsiroa et Fantaka (…) Pendant les premières années de son règne, il réunit les deux couleurs des idoles vénérées de ses ancêtres pour en faire un, les deux couleurs étant disposées en bandes horizontales avec le blanc en partie supérieure et le rouge en inférieure (…) Les peuples de la Côte sont familiarisés depuis longtemps avec ces emblèmes. Et c’est précédé d’un drapeau rouge ou blanc qu’ils viennent en Imerina piller les villages. » Selon J.-C. Hébert, cette dernière assertion est empruntée par Mantaux à J. Carol (« Chez les Hova », 1896).
Mais revenons à la conquête des villages à l’ouest d’Antananarivo. Andrianampoinimerina peut s’emparer de la partie de Marovatana située à l’ouest d’Ambohidratrimo, grâce à l’idole Manjakatsiroa et à ses deux longs pavillons, de couleurs blanche et rouge.
« Tout le Marovatana ouest se soumit bien qu’Ambohidratrimo ne fût pas encore pris »
(Tantara ny Andriana eto Madagascar, RP Callet). Mais bientôt, Rabehety (Andriantomponimerina) est abandonné de tous ses sujets. Avec quelques guerriers, il se réfugie d’abord à Ambohitrimanjaka, sur la rive sud de l’Ikopa, où règne son frère Andrianilana. « Lorsque les Marovatana furent conquis et que Rabehety fut mort, Andrianampoinimerina et Ravaonimerina s’unirent maritalement » (Les Tantara).
La version de Lebel est différente. L’évènement se passe à Antsahadinta, « la vallée aux sangsues », vers le mois de juin 1804. Ramaromanompo et son beau-frère Andriantomponimerina, sentant que tout résistance devient inutile, décident de mettre fin la guerre, tout au moins au siège de la cité en livrant au vainqueur la femme convoitée, Ravaonimerina. Celle-ci sauve ainsi la vie de son mari et de ses proches qui peuvent s’enfuir. Selon les Tantara, Andrianampoinimerina
installe Ravaonimerina à Antananarivo en vue de pacifier le territoire du Sud. Ce qui montre son emprise morale sur le peuple des Merinatsimo (Fenoarivo) où son mari a régné. Plus tard, le roi prend comme autre épouse Razafimboa, fille de Ravaonimerina d’un autre père.
Toujours d’après les Tantara, Ravaonimerina n’a pas d’enfant d’Andrianampoinimerina, mais elle est considérée comme la mère de Radama, sur les instructions du roi.
« Lorsque je ne serai plus ici, dit-il, quand vous aurez à prononcer les discours, dites : Ravao, mère de Lahidama ; dites aussi : Vivent les deux mères. » Les Tantara expliquent : « Rambolamasoandro (femme d’Andrianampoinimerina) donna naissance à Radama et Andrianampoinimerina fit considérer Ravao comme sa mère ; cet ordre fut exécuté après sa mort. Toutes les autres femmes d’Andrianampoinimerina devinrent femmes par héritage de Radama, après la mort d’Andrianampoinimerina, tandis que Rambolamasoandro et Ravao restèrent ses mères. »
Les Tantara ne disent cependant pas que Ravaonimerina a adopté Radama, elle n’est donc pas sa mère adoptive. Mais son rôle prééminent dans la famille royale s’explique par le fait qu’elle est l’héritière du trône d’Imerina. Par son ascendance royale, elle est prédisposée à transmettre le droit régalien.
H.-C. Hébert précise que c’est pour cela qu’Andrianampoinimerina conclut avec Andrianamboatsimarofy un accord d’échange contre sa sœur. Son mariage avec Ravaonimerina aurait permis d’éviter d’entrer en lutte contre son père, car au cours du XVIIIe siècle, les règles de transmission du trône stipulent que l’héritier du trône n’est pas le fils du roi, mais le fils de sa sœur (neveu utérin). Toutefois, parfois le fils du roi est appelé à régner de façon provisoire dans l’attente de la majorité de son neveu ou parce qu’il tente d’entrer en lutte contre lui pour conquérir le pouvoir. « De telles rivalités semblent bien pouvoir vous expliquer de nombreuses guerres intestines en pays merina, jadis. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles