Faut-il concrétiser le plus grand vœu de Ranavalona III en exil C’est la question que l’on se pose en Métropole et dans la Colonie au début du siècle dernier. Le Conseil général de la Seine émet le vœu que « la reine de Madagascar ait la liberté de séjourner où elle voudra sur le territoire de la République ». Ce vœu est transmis pour avis au général Gallieni par dépêche ministérielle du 9 avril 1901.
À son tour, ce dernier demande l’opinion de personnes « qui ont l’expérience des choses de Madagascar ». Il adresse une « lettre personnelle et confidentielle » le 14 septembre, à Julien, chef du bureau de la presse à Antananarivo, et au Dr Lacaze, chef de la province de Fianarantsoa.
« Vous voudrez bien à cette occasion envisager les conséquences politiques (au point de vue malgache) de la pleine liberté qui serait donnée en France à la reine Ranavalona et de l’éventualité de son retour dans la Colonie ». Julien répond, le 22 septembre, le Dr Lacaze le 7 octobre.
D’emblée, précise Maurice Gontard, Julien estime inopportun le retour de la reine à Madagascar. « Il me semble de prime abord, que si une restriction doit être apportée au vœu dont il s’agit, elle doive concerner Madagascar. On ne saurait, en effet, sans de gros inconvénients qu’il n’est pas possible de juger ailleurs que sur place, laisser revenir Ranavalona en qualité de simple particulière dans le pays dont elle fut naguère la souveraine. Cette réserve étant formulée, je pense que Ranavalona pourrait être laissée libre de séjourner en tel point quelconque sur le territoire de la République, à condition toutefois qu’il y eut pour elle obligation de n’en pas sortir. Il serait désastreux que, cédant aux offres intéressées qui ne manqueraient pas de lui être faites, l’ex-reine acceptât à l’étranger une hospitalité qui serait pour notre politique et notre prestige moral dans l’île une irréparable défaite. »
Julien parle aussi de la place de la reine qui persiste dans le cœur de la population et « constituerait un grand prestige qui ne manquerait pas de grandir ». Mais il estime aussi- « et c’est la partie la plus curieuse de sa lettre » (Maurice Gontard)- que c’est l’intérêt même de la reine de ne pas rentrer dans son pays. « Ranavalona, évidemment sensible aux égards et au respect que l’on a actuellement pour sa personne et sa situation, ne peut, semble-t-il, nourrir à notre endroit que des sentiments confus, mais se rapprochant fort à de la gratitude. Ils deviendraient infailliblement du dépit et bientôt de la haine si, à sa déchéance de Reine, on ajoutait cette épreuve d’en faire une femme quelconque dans ce même pays où elle fut tout. » Le chef du bureau de la presse se déclare « intimement » persuadé- « s’il est toutefois possible que l’intéressée désire retourner dans son pays »- que sa situation vis-à-vis de l’Administration française d’une part, et de l’autre de ses anciens sujets, serait bien vite « à tel point fausse qu’elle ne tarderait pas à regretter sa captivité d’Alger ».
Situation qui ne manquerait pas de devenir intolérable, ajoute-t-il, car elle sera, d’un côté, exposée aux compromissions qui lui viendraient de son ancien entourage, « des mécontents du régime actuel », et de l’autre, en proie aux revendications et aux poursuites que ne manqueraient pas d’exercer, sinon contre elle, du moins contre ses deux parentes, sa sœur Rasendranoro et sa tante Ramasindrazana qui l’accompagnent dans son exil, leurs anciennes victimes.
Il cite alors le cas du prince Razafimanantsoa, oncle de la reine, rentré d’exil. Il a été placé à la tête de la Justice royale durant son règne.
« Aujourd’hui, tous ceux qu’il a dépouillés et auxquels il a cessé d’inspirer quelque crainte, se retournent contre lui, l’assignent devant nos tribunaux et lui demandent avec ténacité de leur rendre des comptes. »
En revanche, Julien estime que pour donner à la reine une « nouvelle preuve de la clémence
du gouvernement de la République dont elle cesserait d’être la captive pour devenir en quelque sorte l’hôtesse», on peut lui accorder une résidence libre en tel point du territoire français dont elle ferait le choix. Sauf Madagascar et ses dépendances.
Toutefois, il ne croit pas qu’une telle liberté relative soit une solution satisfaisante pour la reine, « connaissant parfaitement le caractère et le tempérament de Ranavalona et des parentes qui l’entourent ». Et d’ajouter : « L’esprit d’imprévoyance qui caractérise la race malgache, en général, la faiblesse excessive de Ranavalona, l’esprit fantaisiste religieux de Ramasindrazana sont autant de facteurs dont il y aurait danger à ne pas compter. Il est fort à craindre qu’après avoir donné aux captives toute liberté d’allures, le gouvernement n’ait sujet de le regretter et se trouve à un moment donné, dans l’obligation d’intervenir et de reprendre son rôle de tuteur pour éviter un scandale public pouvant naître d’une infinité de circonstances impossibles à prévoir. »
Ainsi pour Julien la réponse est simple : il est impossible pour la reine de Madagascar de rentrer dans son pays, mais elle aura la liberté de se déplacer et de séjourner où elle voudrait sur le territoire de la République. Le chef de la province de Fianarantsoa, partagera lui aussi, cet avis.
Pela Ravalitera