«Les airs et les chansons populaires , d’une rusticité charmante qui, pendant la première période, s’étaient vite répandus dans l’ile entière, furent par la suite abandonnés dans l’Imerina. » L’organiste Marie-Robert Rason, maitre de chapelle de la cathédrale catholique d’Antananarivo, dans les années 50, en incombe la cause à Ranavalona Ire. Après quelques années de calme, dit-il, « elle devint sanguinaire et persécuta ceux de ses sujets qui ne voulurent pas suivre les pratiques de la religion ancestrale. » La terreur qui s’empare du peuple, étouffe le germe de toute inspiration musicale.
Mais à la mort de la reine et à l’avènement de son fils, Radama II, la musique reprend de plus belle, ce que l’organiste présente dans la deuxième période de l’évolution musicale en Imerina (1861-1895). Cependant, celle décrite comme véritablement malgache, disparait petit à petit. Deux facteurs importants contribuent à cette évolution vers une musique métissée.
D’abord, l’influence européenne car le Malgache, plus que tout autre peuple, « par cette faculté même d’imitation et d’assimilation qui est un de ses caractères les plus frappants », ne tarde pas à accueillir l’inspiration nouvelle des Vazaha. Ensuite, l’influence de Radama II qui, « par son naturel frivole », contribue largement à rendre la musique, « légère, insouciante et lascive ». Laborde et Lambert ainsi que quelques missionnaires catholiques et protestants, sont en relations constantes et amicales avec lui. Il les appelle d’ailleurs en termes affectueux ses « ray aman-dreny » (pères et mères). Flattés d’une telle confiance, les Européens mettent au service du roi, tous leurs talents et leur ingéniosité.
« On rapporte que Laborde et le père Finaz qui avaient remarqué la passion de Radama II pour la musique, lui firent don d’un piano (c’était le premier importé à Madagascar) et lui apprirent à jouer de cet instrument. » Radama s’adonne à cette nouvelle passion avec
ferveur. Aussitôt, son entourage, en bons courtisans, s’empressent de l’encenser et de l’imiter. Les Vazaha s’apercevant des aptitudes musicales des Malgaches, répandent une multitude de chansonnettes populaires européennes. Leur influence se fait sentir également sur la musique religieuse qui s’épanouit sous les reines qui succèdent à Radama II. « Le résultat en est la naissance de rythmes et de mélodies plus étoffés et plus symétriques. »
À cette influence européenne se combine la personnalité du roi. « Il était léger, libertin et même dévergondé. Il aimait passionnément la musique, la danse et les amusements. Tout ce qui était nouveau le fascinait, le captivait. » L’ensemble de ces deux apports donne à la musique « une technique plus carrée et une inspiration plus libre ».
Marie-Robert Rason cite quelques airs attribués au roi. Après quelques leçons de piano, il se met à composer. On constatera avec quelle facilité il s’assimile le gout étranger, sans exclure le sien propre. Il y a d’abord « Kalokalon-dRadama II » (Romance de Radama II). Une autre mélodie que l’on suppose de lui, manifestement d’inspiration anglaise, s’intitule tantôt « Mokatejy » (My cottage), tantôt « Rahodra » (My wood). Cette dernière romance est, dit-on, composée par le roi au cours d’une promenade avec ses amis et favorites, sur les rives du lac de Tsimbazaza, dans un val à l’ouest du Rova d’Antananarivo. Le roi s’accompagne d’une valiha. Son style particulier conquiert les compositeurs de son époque.
Parallèlement, trois autres airs d’auteurs inconnus « tout de frivolité » font un tabac. « Il n’est pas d’Européen venu dans l’ile qui ne les ait retenus. Enfantillage, inconstance et insouciance y sont manifestement dépeints. » L’un d’entre eux s’intitule « Mba hitanareo ve Raketak’izay » (Avez-vous vu ma Raketaka ). On relève aussi « Ianao Ravazaha ê ! » (Ô vous Vazaha !). La chanson serait composée par des ouvriers qui, lassés par un travail pénible auquel ils ne sont pas accoutumés, se mettent en grève et réclament à leur patron leur salaire. Enfin on ne peut occulter « Ketaka ô ! », d’un rythme à faire lever tous les amateurs des bals publics.
Sous les trois dernières reines, Rasoherina Ranavalona II et Ranavalona III, la musique
« frivole » commence à s’assagir car elle devient un peu plus sérieuse, accordant une importante place au christianisme qui se répand.
Texte : Pela Ravalitera – Photo : Archives personnelles